C’est avec un très grand désarroi et une infinie tristesse que nous vous informons du décès d’Alain Prat, survenu brutalement ce mardi 19 octobre 2021, à l’âge de 54 ans.
Alain a intégré le laboratoire de Cristallographie de Grenoble à l’époque du démarrage de l’ESRF en 1991. Il a fait partie de cette vague de « nouveaux » qui sont venus renforcer le laboratoire pour s’investir sur ce grand instrument. Il n’y avait pas qu’une dynamique de travail dans ce groupe de jeunes, regroupant IT, CR et thésards, mais aussi une symbiose de tous les instants, la petite bière du vendredi soir, les fêtes improvisées.
Alain s’est tout de suite distingué par son implication : il a très vite été moteur dans de nombreuses expériences novatrices, comme le développement de la diffraction anomale avec une expérience pionnière au LURE (Orsay), sous la houlette de Jean-Louis Hodeau et Jitka Vacinova. Ses exceptionnelles capacités d’imagination et de concepteur ont naturellement incité l’équipe dont faisait partie Jean-Louis Hazemann à le solliciter pour l’instrumentation des lignes CRG de l’ESRF. Tout au long de sa carrière, il a été amené à gérer des projets de plus en plus complexes, mêlant mécanique de précision, cryogénie, ultravide et hautes pressions, des domaines qu’il a découverts et s’est approprié avec succès.
Il a toujours eu une manière bien à lui de gérer ses projets. Il fallait d’abord qu’il s’imprègne du cahier des charges, suivait une phase de gestation pendant laquelle il ne fallait surtout pas le déranger et il venait ensuite vous voir avec la solution « Prat ». Lorsqu’il s’appropriait un projet, on avait le sentiment qu’il n’y avait « plus qu’à » et tout était plus simple. Il a osé se lancer dans des prototypes qui n’ont pas toujours abouti, mais dans toutes ses opérations, lorsqu‘il était lancé, plus rien ne l’arrêtait et il s’acharnait jusqu’à ce que cela fonctionne. C’est sans doute cette incroyable obstination nourrie d’une grande expertise qui caractérisait le mieux son travail. Certaines soirées organisées avec la bande de jeunes des années 90 ont dû quelques fois être mises de côté pour terminer une installation urgente d’un monochromateur sur une ligne de l’ESRF un samedi soir, nécessitant quelques retouches d’usinage et de tronçonnage au laboratoire. Si l’on doit citer une de ces fameuses réalisations, c’est bien le monochromateur de la ligne CRG FAME, qui a fait des petits depuis : sur la ligne D2AM et à présent sur FAME-UHD.
Au fil de sa carrière, Alain a continuellement étoffé ses connaissances en suivant toutes les innovations, comme par exemple le démarrage en dessin industriel, sous Clarisse-Cad, puis Vellum, pour passer ensuite sous Euclide et à présent Catia, ainsi que les méthodes de calculs numériques avec COMSOL.
C’est dans le sillage de son mentor Roger Argoud qu’il s’est tourné vers le domaine des hautes pressions et des hautes températures, avec sa participation aux premiers forums du réseau de technologie des hautes pressions du CNRS : La Londe-les-Maures en 1997, puis Autrans, Banyuls, Collonges-la-Rouge et tous ceux qui ont suivi. Ce nouveau domaine l’a très vite attiré et accaparé, les compétences requises et les personnalités rencontrées ayant été des facteurs essentiels à cet attrait. Il a su largement lui apporter sa « patte » et y insuffler son énergie et sa créativité, d’abord avec la réalisation de deux presses hydrauliques sous licence avec ses collègues du laboratoire de Cristallographie et la société Cyberstar, dédiées à la synthèse sous hautes pressions-températures et installées à Madrid et à Séoul. Dans les années 2000, il réalise dans le cadre d’un atelier du réseau HP et en collaboration avec Roger Argoud, Jean-Pierre Michel et Jacques Roux une vanne de régulation 15kbar gaz, qui a fait l’objet d’un brevet CNRS en 2005, puis l’adapte ensuite à une version 2kbar qui sera à l’origine de deux licences avec la société Autoclave Engineers France. Il est ainsi devenu légitimement un acteur essentiel du réseau HP, dont il a assuré une gestion efficace par sa présence très active au comité de pilotage pendant plus de onze ans. On se souviendra lors des forums HP, le binôme indissociable qu’il formait avec son collègue et ami Gérard Hamel. Citons également la conception et la certification de la presse à large ouverture angulaire qu’il a proposée de sa propre initiative, installée à présent sur la ligne PSICHÉ à SOLEIL et dédiée à une presse multi-enclume ; Citons encore un convertisseur accumulateur de pression embarqué, permettant de rendre la presse Paris-Edimbourg VX9 autonome en pression pendant les expériences de tomographie. Ses dernières œuvres, les réacteurs spectroscopiques Operando, résument bien son vaste champ de compétences alliant la mécanique, la RDM, sa très bonne intuition et son ingéniosité exemplaire.
Durant ces années, Alain avait également à cœur de transmettre son savoir lors de formations technologiques du réseau, qu’il a co-organisées et animées à plusieurs reprises, notamment celles sur les matériaux et joints d’étanchéité, sur la synthèse hydro(solvo)thermale, mais aussi les forums HP (notamment à Biarritz en 2010). Il a également co-dirigé, avec Camille Loupiac et Yann Le Godec, la rédaction d’un livre « Hautes pressions : les nouveaux enjeux », ouvrage qui fait aujourd’hui référence dans le domaine.
Alain était un ingénieur hors-pair pleinement investi dans ses projets, depuis la conception sur ordinateur jusqu’à la mise en œuvre et la validation de ses réalisations expérimentales sur le terrain. C’est pour toutes ces raisons qu’il a brillamment gravi une à une les différentes marches de sa carrière, débutée en tant qu’assistant ingénieur en 1991, puis ingénieur d’études en 2003 et jusqu’au corps d’ingénieur de recherche en 2011, non sans une certaine réticence d’un point de vue orthographique et administratif … mais qu’il a su maîtriser progressivement.
Nous perdons plus qu’un collègue de travail, il est à nos yeux un des piliers de l’institut Néel et un des acteurs essentiels de l’innovation technologique en haute pression et en diffraction X en France. Le dernier instrument qu’il a conçu et développé, MobiDiff, vient tout juste de faire sa première sortie au musée-château d’Annecy et a permis l’analyse de plusieurs sculptures médiévales : encore merci à toi Alain !
Non, nous ne perdons pas qu’un collègue de travail, mais un compagnon de plus de trente ans de travail en commun, un ami d’une profonde gentillesse et plein d’humour. Les nombreux souvenirs qui resteront à jamais aideront à combler ce vide immense laissé derrière lui. Il est agréable de se rappeler de ses différentes anecdotes, telle celle répondant à la question : « pourquoi éternue-t-on lorsque l’on est ébloui par le soleil » : c’est évident, c’est le gratouillage des poils du nez lorsqu’on plisse les yeux ! Une bonne méthode pour se faire chambrer était aussi d’aller le voir dans son bureau avec une idée nouvelle, un peu farfelue, et ce que l’on pensait être une possible solution pour la mettre en œuvre : rarement cette solution passait le « test Prat »™. Et bientôt, lors de futures prises de tête sur des montages expérimentaux, nous nous remémorerons chaleureusement sa célèbre maxime « la science est un problème de raccords ».
Alain était également musicien, clarinettiste au sein d’un groupe musical avec lequel il jouait occasionnellement et avait été jusqu’à développer un prototype de barillet qui a fait l’unanimité au sein de son groupe. Il nourrissait sa curiosité au travers de multiples centres d’intérêt : la nature, le sport, le travail du bois, la gastronomie, et tant d’autres…
Compagnon de tous les instants, tu nous manques déjà terriblement, mais il est certain que nous mènerons tes derniers chantiers et les suivants, à ton image : jusqu’au bout, avec exigence, rigueur, passion, générosité et humilité. C’est promis.
Salut Alain.
Nos pensées vont naturellement vers ses proches, ses trois enfants, sa femme, sa maman et sa sœur.